Schott Music

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11/02/2019

Œuvre de la semaine – Jörg Widmann: Babylon-Suite

Dans le cadre du festival Présences est proposée au public, le 16 février 2019 au Grand Auditorium de Radio France à Paris, la Babylon-Suite de Jörg Widmann. L’Orchestre national de France est placé sous la direction de Nicholas Collon. L’exécution est accompagnée d’une installation vidéo réalisée par des étudiants de l’École Estienne.

La Babylon-Suite se fonde sur l’opéra Babylon de Widmann. Elle extrait l’essence de ce monumental opéra composé pour une très grande formation, en une œuvre d’une trentaine de minutes. Widmann ne s’est pas contenté, pour ce faire, de transposer les parties vocales en les confiant à des instruments solistes, il s’est agi bien plus de faire correspondre au mieux les timbres vocaux au langage orchestral, même si, à cet effet, il était nécessaire d’en passer par des changements allant jusqu’à l’apport de nouveaux matériaux compositionnels. La Suite est caractérisée par un important effectif de percussions très diversifié, et relie entre eux des éléments musicaux très divers, comme des mélodies lyriques, des hymnes majestueux et de la musique de marche d’origine populaire.

Jörg Widmann – Babylon-Suite : une œuvre jumelle de l’opéra.

L’opéra Babylon repose sur un livret du spécialiste de la culture et philosophe Peter Sloterdijk. De son association à la musique de Widmann se dégage une interprétation toute personnelle du mythe biblique de la ville de Babylone, qui met l’accent non pas sur la construction de la tour et la punition divine qui s’ensuivit, mais au contraire s’attache à la vie commune des différentes cultures dans la ville et à leur organisation sociale.

Le protagoniste de l’opéra est Tammu, un Juif de l’exil à Babylone, mais qui s’est bien accoutumé à vivre à l’étranger. Il est pris entre deux femmes de nature différente : L’Âme, sa compagne juive, qu’il aime comme une sœur, alors qu’il se sent au contraire attiré sexuellement par la prêtresse babylonienne Inanna. Quand Tammu est mis a mort en tant que victime humaine sacrifiée aux dieux, les deux femmes sont associées dans leur deuil. Inanna parvient cependant à sauver son bien-aimé Tammu et à le faire sortir de l’empire des morts, posant ainsi les bases d’un nouvel ordre social à Babylone. Car la sauvetage de Tammu a mis en évidence le non sens des sacrifices humains.

Dans ces deux personnages féminins se reflètent leurs différences culturelles : la culture monothéiste et monogame de la population juive, qui s’est maintenue dans l’exil, et la culture multiculturelle babylonienne, qui rend hommage à de nombreux dieux ainsi qu’à l’amour libre. Cette opposition se présente tout particulièrement dans le cadre du cinquième tableau, où la communauté juive entonne un Psaume de plainte (« Sur les rives des fleuves de Babylone, là nous nous assîmes, et nous pleurâmes au souvenir de Sion. »), tandis que les Babyloniens honorent leurs dieux dans une cérémonie au caractère festif. Widmann compose pour cet endroit une musique d’une densification retentissante pour laquelle il fait appel à un contrepoint à 17 voix, en divisant l’orchestre jusqu’à 70 parties.

« En tant que compositeur, ma tâche consistait à formuler les énergies conflictuelles d’une manière aussi fortement différenciée que possible, tout en trouvant la possibilité malgré tout d’obtenir une cohérence de l’ensemble des scènes. Le principe de construction de l’opéra, qui repose sur un soubassement gigantesque pour s’amenuiser ensuite vers le haut, ressemble à la tour de Babel. »
(Jörg Widmann)

Le 9 mars est créée à l’Opéra national Unter den Linden de Berlin une nouvelle version de l’opéra. Dans une mise en scène d’Andreas Kriegenburg, Mojca Erdmann chantera le rôle de L’Âme, Susanna Elmark, celui de Susanna, et Charles Workmann, Tammu, sous la direction musicale de Christopher Ward. Quelques jours auparavant, les 25 et 26 février 2019, Daniel Barenboim introduit le public à la nouvelle production de l’opéra en faisant entendre la Babylon-Suite. Que ce soit sous forme d’opéra, ou sous forme de Suite, – le mythe de Babylone, dans ces compositions de Widmann, est bien vivant, et vient nous aider à changer le regard que nous jetons sur les enjeux actuels de notre propre société.

 

 

Photo: Bayerische Staatsoper München / Wilfried Hösl